L'art d'être candidat : Rétrospective des déclarations de candidature - Objectif Élysée 2022 #3
- Rudius Officiel
- 4 févr. 2022
- 8 min de lecture
Ce 15 janvier 2022, Christiane Taubira a déclaré sa candidature à l'élection présidentielle et sa communication a fait peu réagir alors qu'elle frôle l'amateurisme. Dans cette rétrospective des candidatures, l'équipe du Rudius revient sur l'art de se déclarer candidat à la présidentielle, sur la communication à adopter et sur l'image à renvoyer aux électeurs.
On ne comptait pas forcément en parler au départ, mais vu l’absence d’analyse voire même simplement de réaction sur le sujet, il est temps de se poser la question : qu’est-ce que cette déclaration ?
Le 15 janvier dernier, Christiane Taubira a annoncé être candidate à l’élection présidentielle lors d’un discours prononcé à Lyon dans le quartier de la Croix-Rousse. Cet endroit a été choisi en référence à son passé industriel et aux révoltes sociales qui y ont eu lieu dans les années 1830 durant lesquelles les ouvriers tisserands surnommés les canuts, s’insurgèrent à plusieurs reprises pour réclamer de meilleures conditions de vie et de travail.
Jusqu’ici tout va bien, le lieu est chargé historiquement, sa symbolique est forte et on avait tout pour avoir un excellent discours en s’imprégnant du passé ouvrier de la région qui donnerait du poids à la déclaration politique d’une femme de gauche. Du moins en théorie parce que là l’image donnée ne laisse rien voir de tout ça. On se retrouve avec un décor brumeux, on ne sait pas si c’est du brouillard en arrière-plan ou bien de la pollution, les murets à l’arrière sont couverts de tags et la candidate qui est censée incarner la future femme de pouvoir déterminée se présente avec 32 couches de vêtements, doudoune, gants, écharpes, la tête rentrée dans les épaules pour se protéger du froid. On est quand même bien loin d’une image de future Présidente de la République.
Alors pour certains ce que l’on dit ici s’apparente à du pinaillage, mais on vit dans une société où la communication est devenue omniprésente, surtout en politique, et quand on réalise un travail, que ce soit une déclaration politique, une publicité et même une rédaction pour l’école ou un rapport à rendre à votre patron, la forme importe autant que le fond, voire même parfois l’emporte sur lui. Et ici il s’agit quand même de viser la présidence de la République, c’est une déclaration qui sera vue par des millions de Français qui seront impactés consciemment ou inconsciemment par l’image que le candidat va leur donner et compareront cette image avec celle des autres candidats.
Si on a déjà pu un peu aborder le sujet des déclarations de candidats dans un précédent podcast, c’est l’occasion pour nous de l’approfondir et de faire une rapide rétrospective des candidatures à la présidence marquantes.
Car la France a une relation particulière avec l’élection présidentielle. Il s’agit tout d’abord de l’un des rares pays à élire son chef d’État au suffrage universel direct. Ensuite il y a une tradition un peu bonapartiste mise en place par le Général De Gaulle qui veut que cette élection soit la rencontre d’un Homme avec les Français. Ce n’est pas un parti politique qui se fait élire, ni même un homme politique, mais un Français qui se présente aux autres Français, du moins en théorie. Et ça, ça doit s’incarner dans une déclaration de candidature. La formule qui a peut-être le mieux décrit cette tradition fut celle de Valéry Giscard d’Estaing.
Cette élection de 1974 était assez particulière, car elle fut déclenchée par le décès du Président Pompidou le 2 avril et les candidats n’avaient alors qu’un mois pour faire campagne, le premier tour devant avoir lieu le 4 mai. Là-dessus Giscard joua intelligemment, alors que le Premier ministre de l’époque Jacques Chaban-Delmas déclara sa candidature le jour même des obsèques de Pompidou, Giscard prit le temps malgré la brièveté de la campagne de ne se déclarer qu’après la période de deuil national. Et il n’oubliera pas non plus de faire figurer une photo du défunt président dans le champ de la caméra.
Si la tradition française veut que le Président, en bon monarque, soit assis lorsqu’il fait une déclaration, et que donc tous ceux qui sont candidats à la magistrature en fassent de même, Giscard, lui, très inspiré par les États-Unis et surtout par les Kennedy, fera sa déclaration debout. Il s’inspira tout au long de sa campagne de la communication américaine allant même jusqu’à faire une partie de son discours de victoire en anglais, sans oublier une certaine french touch dans l’accent.
C’est bien assis que Jacques Chirac déclarera sa candidature en 88 , mais le problème c’est qu’il le fera depuis l’Hôtel de Matignon, résidence du Premier ministre ce qui ne fera que l’ancrer dans cette fonction. Mitterrand n’eut alors qu’à maintenir son adversaire dans cette image rappelant à ce dernier et aux électeurs que Chirac n’était finalement que son subordonné.
Chirac finira lui-même par tomber dans le piège en appelant Mitterrand par sa fonction, supérieure à la sienne.
Sept ans plus tard, c’est au tour d’Édouard Balladur de faire la même erreur en annonçant sa candidature depuis Matignon. Mais là où Chirac l’avait fait avec un bureau légèrement de travers pour éviter la posture trop présidentielle et avec un mur couvert d’une tapisserie et de papier peint, c’est face caméra et entouré de dorure que Balladur fait sa déclaration donnant l’impression qu’il se croit déjà président de la République lui qui était donné gagnant dans les sondages. Son air froid et distant n’améliora en rien l’impression qu’il donna aux spectateurs.
Pour cette élection de 95, Chirac, lui, avait créé la surprise en déclarant sa candidature non pas à la télévision ni même à la radio, mais avec un simple entretien dans un journal. En se déclarant bien plus tôt que prévu, le président du RPR prit de court son parti et évita qu’on ne le force à céder sa place de candidat de la droite à Balladur.
C’est loin d’être la meilleure façon de déclarer sa candidature, mais il arrive que la stratégie politique doive prendre le pas sur la communication. Après, soyons honnêtes, les exemples que nous avons pris ici font plus partie des exceptions que de la règle. Si l’élection présidentielle est censée être la rencontre d’un Homme avec les Français, il faut admettre que cet homme est davantage le candidat d’un parti politique. Mais ça n’empêche pas de soigner sa communication et donner des images fortes. C’est ce que fit Nicolas Sarkozy quand il fut désigné candidat de l’UMP en 2007 en organisant un grand congrès à l’américaine et en rassemblant plusieurs dizaines de milliers de militants.
À gauche on sera souvent plus timide dans les images des candidats, la symbolique de l’homme providentiel n’est pas toujours bien accueillie dans une famille politique où le collectif est censé primer sur l’individu. Que ce soit pour le PS, les écologistes ou la France Insoumise, on va rarement avoir de grande déclaration inspirée. Mélenchon par exemple ira à chaque fois à un 20h assez tôt dans la campagne pour faire son annonce. Il dira : "Je propose ma candidature à l’élection présidentielle de 2017".
Oui parce que Mélenchon ne se déclare jamais candidat, il propose sa candidature.
Quand il utilise cette formule en 2012, c’est compréhensible politiquement, il essaye de rassembler différents partis de gauche autour d’une candidature commune, et il ne veut pas donner l’impression de s’imposer. Mais à partir de 2017, c’est davantage pour ne pas froisser les militants qui sont dans cette culture du collectif qu’il utilise ce terme, de même pour aujourd’hui. D’ailleurs pour 2022, il utilisa une nouvelle tactique pour se légitimer en mettant une condition à sa candidature : recueillir 150.000 parrainages citoyens.
Ce n’est pas particulièrement risqué comme paris, d’ailleurs il obtiendra très vite ses 150.000 clics. On remarque tout de même que pour l’instant il n’a toujours pas dépassé les 300.000 ce qui n’est pas forcément de bon augure pour un parti qui revendique 600.000 adhérents et qui a récolté plus de 7 millions de voix en 2017. Mais ça reste une bonne méthode pour légitimer sa candidature, sans toutefois avoir le même impact qu’une bonne déclaration de candidature bien orchestrée.
Parfois un rien suffit et les candidats ne prennent pas forcément de risque, comme Macron en 2016 qui le fit en toute simplicité à l’époque en organisant une conférence de presse sans fioriture sur un fond bleu classique avec drapeaux français et européens dans le cadre, rien d’exceptionnel d’ailleurs la déclaration passa un peu inaperçue à l’époque, sa candidature n’étant plus une surprise pour personne, ce n’est qu’à partir de 2017 qu’il commença à décoller dans les sondages. Aujourd’hui il prend son temps pour se déclarer, comme le fond souvent les anciens présidents, ils profitent de leur fonction pour augmenter leur temps de présence dans les médias et surtout pour rester à distance du débat politique. L’une des meilleures déclarations d’un président se représentant fut peut-être celle de Mitterrand en 88 qui surpris par sa simplicité : "Oui… je le crois".
Quatre mots, simple, efficace. En pleine période de cohabitation, Mitterrand voulait donner l’image d’un président détaché des autres candidats, au-dessus des affaires politiciennes, ce fut en un sens une réussite.
Donc, on le voit il n’y a pas forcément une seule bonne façon de déclarer sa candidature et ce n’est aussi finalement qu’un élément parmi tant d’autres d’une campagne politique souvent longue et chargée en rebondissement. Mais il n’empêche que ça a son importance et que ça donne la possibilité de produire des images et un discours qui seront vues et entendus par des millions d’électeurs et surtout de donner une bonne première impression à de nombreux Français. Il donc primordial de soigner l’événement, et pour revenir à Christiane Taubira, c’est véritablement une mauvaise déclaration de candidature. Pourtant il y avait du potentiel. Le quartier était symbolique, il suffisait soit de couvrir les tags avec des affiches, soit de choisir un autre lieu, sans connaitre le quartier, on peut quand même imaginer que tous les murs ne sont pas tagués. Et en réalité même la symbolique du lieu ne fut pas véritablement exploitée. Une simple mention aux canuts en début de discours qui sera ensuite très vite oubliée, aucun lien n'est fait avec son programme ou sa vision de la France, aucun ancrage historique n’imprègne sa pensée alors que la symbolique était forte et aurait véritablement put donner du crédit et de la matière à un discours de candidate de gauche. Pour le brouillard à l’arrière c’est mineur, mais il y avait moyen de mettre quelques lumières sur la candidate pour créer un contraste avec l’arrière-plan terne et brumeux. Et pour les 32 couches de vêtements, là il fallait tout simplement choisir autre chose. Mélenchon par exemple avait choisi une veste de couvreur en molesquine qui avait l’avantage d’être sobre tout ne protégeant du froid et avec laquelle il pouvait tenir un meeting de 2h en extérieur. Mais ce manteau, avec l’écharpe et avec les gants ça ne renvoie pas une image de force et de personnalité intrépide, tout le contraire. Pour l’anecdote, en 1985 lors de la première rencontre entre Michael Gorbatchev et Ronald Reagan au sommet de Genève, ce dernier devait attendre à l’extérieure l’arrivée de son homologue russe et son communicant insista fortement pour qu’il ne porte pas de manteau de peur que le président des États-Unis ne paraisse faible aux yeux des russes et de la presse mondiale. Reagan s’en agacera, mais finira par accepter d’attendre dans le froid sans manteau et lorsque Gorbatchev arriva enfin, c’est ce dernier qui était habillé chaudement et donna ainsi l’impression d’être plus vieux et fragile que le président américain. Comme quoi un simple vêtement peut changer toute une image.
Mais ça c’est normalement le rôle des communicants de se charger de ce genre de détails et pour l’instant dans cette campagne de 2022, ils ont l’air de travailler davantage du côté de Zemmour et de Mélenchon que des autres candidats, même si chez eux aussi on a vu des couacs, la campagne de la France Insoumise ne semble pas avoir le même souffle qu’il y a cinq ans et du côté de Reconquête on oscille entre les bons coups de com’ et l’amateurisme .
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