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Qu'est-ce qu'une démocratie ?

  • Photo du rédacteur: Rudius Officiel
    Rudius Officiel
  • 12 juin 2022
  • 19 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 déc. 2022

Retour sur l'histoire de la démocratie de la Grèce antique à nos jours pour mieux comprendre ce régime et ses principes fondamentaux.


Table des matières


Introduction

La démocratie. N’y a-t-il pas un concept plus utilisé que celui-ci ? De la droite à la gauche radicale en passant par le centre, de la Hongrie aux États-Unis en passant par l’Australie, des libéraux individualistes aux nationalistes identitaires, tous se revendiquent d’un même mot, d’un même idéal qu’ils seraient chacun les seuls à défendre, celui de la démocratie. Un concept tellement utilisé qu’il en est peut-être devenu usé, au point qu’on doive se poser aujourd’hui cette question qui à une autre époque aurait semblée évidente : qu’est-ce qu’une démocratie ? Depuis les années 2000 et plus encore depuis les années 2010, un climat de tension s’est installé progressivement dans les sociétés européennes et plus largement d’occident, un climat de défiance des gouvernés envers les gouvernants, des citoyens envers le système politique que l’on accuse de dérive autoritaire, de ne plus être représentatif de la population, de ne plus agir selon l’intérêt de la Nation. Ce climat a atteint une nouvelle phase en France depuis les 5 dernières années avec l’apparition du mouvement des gilets jaunes et plus récemment avec la crise sanitaire qui a obligé de nombreux États partout dans le monde à restreindre les libertés pour endiguer l’épidémie. Les manifestants accusent les gouvernements de bafouer la démocratie, les gouvernants renvoient l’argument aux protestataires et nous revoilà encore une fois avec ce principe dont chaque camp se revendique le défenseur. C’est l’occasion pour nous de revenir sur le concept de démocratie, sur son histoire de ses origines à nos jours, sur son évolution et sur les principes qui le composent et qu’un font qu’un régime est ou non démocratique.


La démocratie athénienne et la République romaine

Si le principe démocratique est aujourd’hui répandu et semble même être devenu une évidence dans de nombreux pays, il n’en demeure pas moins une exception à l’échelle de l’Histoire et son développement dans nos pays fut particulièrement long et laborieux.

C’est dans la Grèce antique et plus précisément dans la cité d’Athènes que l’on trouve les origines de la démocratie, vers le 5ème siècle avant notre ère. [1] Contraction de dêmos, le peuple et de kratos, le pouvoir, cette démocratie avait pour particularité d’être directe, c’est-à-dire que c’était les citoyens athéniens eux-mêmes qui exerçaient le pouvoir sans passer par des représentants élus.

Le système politique athénien s’organisait principalement autour de deux institutions. La première, appelée l’Ecclesia, était une assemblée à laquelle était convié tous les citoyens. Elle était chargée principalement de voter les lois et elle disposait donc de ce qu’on appelle le pouvoir législatif.

La deuxième assemblée qui était nommée la Boulè, était composée de 500 citoyens de plus de 30 ans tirés au sort pour une durée d’une année. Cette assemblée détenait le pouvoir exécutif et elle était donc chargée d’examiner les projets de loi, d’administrer la cité et d’exécuter les décisions de l’Ecclesia.

Encore cité comme une référence aujourd’hui et parfois vu comme un type de régime à retrouver, la version athénienne directe de la démocratie n’était pas aussi parfaite qu’on pourrait le penser si on devait l’analyser avec nos critères d’aujourd’hui. Car si tous les citoyens avaient le droit d’exercer le pouvoir, tous les habitants d’Athènes n’était pas citoyen pour autant. Pour être citoyen et faire partie de ce que les Grecs appelaient le Dèmos il fallait être un homme de plus de 20 ans dont les deux parents étaient citoyens athéniens. Les esclaves, les étrangers, les fils d’étrangers, les mineurs (de moins de 20 ans donc) et les femmes (qui étaient considérées comme éternellement mineurs) n’avaient pas accès à la citoyenneté. Ce qui fait que sur un total d’environ 300.000 habitants, seulement 40.000 étaient considérés comme étant citoyens soit, 13% de la population. Même si cette perspective n’était pas prise en compte à l’époque, la démocratie athénienne ne faisait pas l’unanimité parmi ses contemporains avec un de ses détracteurs les plus célèbre, Platon, qui verra ce régime comme celui de la tyrannie de la majorité, influencé par les bas instincts de la masse.

S’il y avait dans ce type de gouvernement une volonté de représenter le peuple et un certain souci de son bien-être, le principe de sa souveraineté demeure absent et n’apparaitra progressivement chez nous que bien des siècles plus tard. Il en va de même pour un autre célèbre régime de l’Antiquité, celui de la République romaine dans laquelle seul les patriciens, les membres des familles les plus anciennes et puissantes de Rome, avaient accès au pouvoir, en opposition aux plébéiens qui ne possédait qu’une faible représentation au Sénat avec le Tribun de la Plèbe, alors qu’ils composent la majorité de la population romaine.


Séparation du temporel et du spirituel

Si ces systèmes politiques ont inspiré dans une certaine mesure nos régimes contemporains, c’est pourtant bien dans l’Europe chrétienne médiéval que l’on retrouve les origines de la pensée et de la pratique démocratique qui va lentement évoluer pendant plusieurs siècles.

Cela commence par la séparation progressive du pouvoir temporel, le politique et le pouvoir spirituel, le religieux. C’est ce que l’on nomme la sécularisation. L’instauration de l’élection pour désigner le nouveau pontife de Rome par les cardinaux au 11ème siècle [2] pour diminuer l’ingérence des monarques dans les affaires de l’Eglise est un pas vers cette sécularisation, tout comme le sera deux siècles plus tard la désignation de l’Empereur du Saint Empire Germanique par les grands électeurs ce qui permet d’une part de séparer progressivement les affaires politiques du religieux, mais également de légitimer la pratique du vote pour désigner un souverain, même si celui-ci n’est réservé qu’à une élite restreinte.


Naissance des parlements

À partir du 12ème siècle, on voit apparaitre un peu partout en Europe des assemblées politiques censés aider ou légitimer les souverains dans leurs décisions. Souvent composés de la noblesse, du clergé et parfois de la bourgeoisie de certains royaumes, elles sont loin d’être de véritable parlement comme ceux que nous connaissons. Ces assemblées ont principalement un rôle consultatif, mais évolueront au cours de l’Histoire. Elles prennent le nom de diète comme dans le Saint-Empire ou États Généraux en France. [3]


Influence des Cités-États

Dans le cours du 13ème et du 14ème Siècle se développent des ébauches d’autogouvernements des villes en Europe médiane. La faiblesse de l’autorité centrale du Saint-Empire ajouté à l’essor économique des marchands et artisans dans cette région va favoriser l’émergence de cités autonomes. Allant des Pays-Bas jusqu’en Italie du Nord, en passant par l’Allemagne rhénane et la Suisse, on voit progressivement se développer des esquisses de Cité-États. On retrouve ainsi les villes de Hambourg, de Francfort, la République de Mulhouse en Alsace, la République de Genève et bien sûr les nombreuses républiques italiennes dont celles de Florence ou de Venise. Ces républiques cantonnées à une seule ville sont souvent des oligarchies dirigées par plusieurs familles aisées se partageant ou se disputant le pouvoir. Loin d’être des démocraties donc, ces cités ont néanmoins constitué une étape importante de la démocratie, leurs dirigeants n’étant non plus exclusivement des nobles et pouvant être des bourgeois ou des gens issus de familles marchandes fortunées. [4]

Les assemblées ancêtres des parlements et la légitimation du vote font partie de ce qui deviendra le set d’outils pratiques de la démocratie. À cela s’ajoute les outils philosophiques.


La pensée démocratique

La séparation des pouvoirs

C’est au cours du 17ème et 18ème siècle qu’apparait une série de concepts qui vont être essentiels à l’émergence des démocraties. Parmi eux on retrouve ce qu’on appelle aujourd’hui la séparation des pouvoirs. Développé en partie par le philosophe anglais John Locke [5], et approfondi par Montesquieu [6], ce principe veut que pour diminuer le risque que les dirigeants abusent de leurs pouvoirs, il faut séparer ces derniers, du moins en partie, entre différentes institutions. Ainsi on distingue 3 pouvoirs : le législatif chargé de l’élaboration des lois, l’exécutif qui est celui de la gestion de la politique de l’État et l’application des lois et le judiciaire qui rend la justice et puni le non-respect des lois. S’il existe encore aujourd’hui des liens plus ou moins étroits en fonction des démocraties entre ces 3 pouvoirs, le fait qu’ils ne soient pas concentrés entre les mains d’un seul individu ou d’une seule assemblée permet un équilibre dans leur exercice.


La volonté et l'intérêt général

Un autre philosophe contribuera fortement à l’élaboration des concepts essentiels à la démocratie. Avec le principe que l’intérêt général est l’intérêt de tous et non celui du plus grand nombre ou celui d’individus ou avec le principe que la volonté générale est détenue par l’ensemble du peuple et ne peut être accaparé par un seul individu, Jean-Jacques Rousseau [7] deviendra une source d’inspiration pour les acteurs politiques et les intellectuels désirant la venue d’un régime plus démocratique.

Il défendra également le concept souveraineté populaire faisant du souverain le peuple dans son entièreté. Ainsi la souveraineté ne peut être détenue par un seul homme comme dans les monarchies, ni même par un groupe d’individu ou une caste comme dans les aristocraties ou les oligarchies, la souveraineté ne peut être détenu que par le peuple celle-ci étant l’exercice de la volonté générale faite donc pour l’intérêt général.

« Je dis donc que la souveraineté n’étant que l’exercice de la volonté générale, ne peut jamais s’aliéner, & que le Souverain, qui n’est qu’un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même, le pouvoir peut bien se transmettre, mais non pas la volonté. » Du contrat social, Livre II, Chapitre I

« Par la même raison que la souveraineté est inaliénable, elle est indivisible. Car la volonté est générale, ou elle ne l’est pas ; elle est celle du Corps du Peuple, ou seulement d’une partie. Dans le premier cas, cette volonté déclarée est un acte de souveraineté, & fait loi. » Du contrat social, Livre II, Chapitre II

Le nationalisme

Ces nouveaux principes et idéaux vont imprégner progressivement les élites bourgeoises des sociétés occidentales du 18ème siècle, période qui va également voir l’émergence d’un dernier concept décisif dans l’apparition des démocraties, celui de la nation et de l’appartenance nationale. Si depuis la seconde guerre mondiale, le nationalisme est amalgamé à son extrême et a mauvaise réputation, il a néanmoins permis le développement des démocraties pour une raison très simple qui est que plus le sentiment qu’a un peuple d’appartenir à une nation est grand, plus le peuple voudra participer à la politique de cette nation et de ce fait la meilleure voie pour y participer est celle de la démocratie. [8]


Les vagues de démocratisations et reflux démocratiques

La première vague de démocratisation (1826-1926) commencera avec les révolutions américaines et françaises de 1776 et 1789. [9] Cette vague s’étendra en Europe durant le 19ème siècle où la démocratie s’installera progressivement en Angleterre, en Belgique dès la révolution de même pour l’Italie. Cette vague touchera également les continents américain (Canada, Argentine, Chili et Uruguay), asiatique (Japon) et océanien (Australie) et continuera jusqu’à la fin de la première guerre mondiale qui verra l’éclatement des anciens empires allemands, austro-hongrois et ottoman adoptant à leur tour des formes plus ou moins démocratiques.

La période de l’entre-deux guerres (1922-1942) sera celle du reflux démocratique causé par la grande dépression économique et à la montée du totalitarisme. (Allemagne, Grèce, Italie, Espagne, Amérique latine, Japon).

La démocratisation (deuxième vague 1943-1962) reprend après la seconde guerre mondiale tout d’abord dans les pays vaincus comme l’Allemagne, l’Italie et le Japon et puis plus largement en Afrique et en Asie suite à la décolonisation, où les nouveaux pays vont avoir tendance à adopter le régime des anciens colons, mais bien souvent cette démocratisation ne sera que temporaire, amenant ainsi au second reflux démocratique (1958-1975) venu de cette incapacité à consolider les nouvelles démocraties en Afrique et venu également de la peur du communisme amenant à une série de coup d’états en Amérique du Sud.

Parmi ces derniers, nous pouvons citer:

  • Pérou en 1962,

  • Brésil en 1964,

  • Bolivie en 1964,

  • Argentine en 1966,

  • Équateur en 1972,

  • Uruguay en 1973,

  • Chili en 1973

À partir de 1974 (troisième vague de 74 à nos jours), c’est au tour de l’Europe du sud de se démocratiser avec la révolution des Œillets au Portugal, la chute de la dictature des colonels en Grèce et l’année d’après en Espagne avec la disparition de Franco. La chute de l’Union soviétique ouvra la voie à la démocratie aux pays d’Europe de l’Est. Cette dernière vague concernera aussi l’Asie-Pacifique avec les Philippines, la Corée du Sud et Taiwan de 1986 à 1988, mais également l’Amérique latine et l’Afrique sub-saharienne.


Alors que la démocratie était à l’origine une exception dans un monde de régimes autoritaires, elle s’est considérablement propagée en l’espace de seulement trois siècles.

Ce n’est pas pour autant qu’elle est immuable et que les régimes démocratiques que nous connaissons aujourd’hui sont le même qu’au 18ème siècle. D’ailleurs à cette époque, le terme de démocratie était amalgamé à la démocratie directe athénienne qui avait mauvaise réputation. Ce mode de gouvernement était jugé comme étant le pouvoir arbitraire de la majorité dépendant des bas instincts du peuple. De plus, il semblait difficile à l’époque d’installer une démocratie directe dans un pays bien plus grand et peuplé que l’antique cité d’Athènes. Les philosophes des lumières lui préfèrent alors un régime où la loi est l’expression de la volonté générale et non simplement celle d’une majorité, c’est ce qu’ils appellent eux la république et c’est ce que nous, nous appelons aujourd’hui la démocratie représentative.


La démocratie représentative

Contrairement à la démocratie directe où les citoyens exercent eux-mêmes le pouvoir, dans une démocratie représentative ce sont des représentants qui sont désignés pour gouverner au nom des citoyens. Le philosophe français Bernard Manin [10] énoncera plusieurs principes qui font qu’une démocratie est représentative. Tout d’abord, les gouvernants sont désignés par des élections ayant lieu à intervalle régulier. Les gouvernants détiennent ce qu’on appelle un mandat représentatif, c’est-à-dire qu’ils conservent une marge d’indépendance par rapport aux électeurs et peuvent agir différemment de leur avis s’ils le désirent, contrairement à un mandat impératif qui oblige le gouvernant à faire exactement ce pour quoi il a été élu. Dans une démocratie représentative, les décisions politiques sont débattues et discutées dans l’enceinte d’un parlement et enfin, les gouvernés peuvent exprimer librement leurs opinions politiques.


Du suffrage censitaire au suffrage universel

À partir de là, le système démocratique continua d’évoluer en fonction des revendications des partis politiques ou de la population. L’une des plus importantes fut l’élargissement du droit de vote. Au début de la plupart des pays ayant adopté le principe électif, le droit de vote n’était attribué qu’aux personnes payant un certain montant d’impôt qu’on appelait le « cens » et qui donna son nom à ce type de suffrage dit censitaire qui fut appliqué en France à partir de 1815. Face à ce système excluant du processus électoral une large partie de la population, les revendications ne se firent pas attendre pour demander le droit de vote pour tous sans considération de revenus ou d’imposition. Pour calmer les revendications, certains pays mirent en place un modèle hybride. Ce fut par exemple, le cas de la Belgique où en 1894, le droit de vote fut étendu à tous les hommes âgés de plus de 25ans, mais l’on accorda à certains d’entre eux une ou deux voix supplémentaires en fonction de la quantité d’impôt qu’ils versaient et de leur niveau d’étude (droit de vote capacitaire). C’est ce qu’on appelle le suffrage universel tempéré par le vote plural et qui fut a posteriori une phase de transition jusqu’au suffrage universel accordant le droit de vote et le même nombre de vote à tous les hommes. Il arriva vers la fin du 19ème siècle et se généralisa en Europe à la fin de la Première guerre mondiale.


Suffrage universel en Europe

  • 1852 : France

  • 1871 : Allemagne

  • 1907 : Autriche-Hongrie

  • 1919 : Royaume-Uni, Belgique, Italie

À partir de ce moment le droit de vote continuera de s’étendre tout d’abord aux femmes au sortir de la seconde guerre mondiale pour ensuite être accordé aux plus jeunes en passant de parfois 25 ans à 21 et maintenant 18ans.


La démocratie électorale

Ces évolutions notamment du droit de vote amène à ce qu’on nomme la démocratie électorale dans laquelle les principaux postes politiques sont renouvelés par des élections régulières et que ces élections sont le lieu d’une compétition entre plusieurs partis qui seront élus au suffrage universel.

Aujourd’hui, les principes démocratiques se sont étendus au-delà des simples élections pour englober également l’espace public avec la protection des libertés individuelles, c’est le dernier type de démocratie que l’on verra ici, la démocratie libérale.


La démocratie libérale

Le politologue Robert Dahl [11], lui, a mis en évidence sept critères pour qu’une démocratie soit libérale: il faut que les citoyens aient le droit de voter et de se présenter aux élections, que ces élections soient libres et justes, que le régime permettent les libertés d’association et d’expression, qu’il y ait un pluralisme des médias et non une seule télévision dirigée par l’État par exemple et enfin que les élus contrôlent les décisions prises par le gouvernement.

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les pays européens se sont reconstruis en oppositions aux totalitarismes, traumatisés par l’empreinte qu’ils ont laissée. Ces régimes totalitaires ayant annihilés toutes libertés, les démocraties ont décidés, elles, de les consolider davantage se calquant sur le modèle que les anglo-saxons avaient de la démocratie, c’est-à-dire l’adoption d’une vision libérale d’un régime plaçant les libertés individuelles au-dessus des principes de souveraineté populaire et d’intérêt général. Ainsi même la France dont la tradition démocratique s’ancrait dans les principes rousseauistes, évolua vers un système plus libéral à l’anglaise et à l’américaine. Depuis 1944, le nombre de chartes et de traités internationaux garantissant les libertés des individus n’a cessé d’augmenter. À l’unique Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, s’ajoutent la Déclaration Universelle de 1948 ainsi que la Convention européenne de 1950. Celle-ci continuera d’adopter régulièrement de nouveaux articles élargissant ainsi son domaine de compétence.

Ainsi la défense des minorités et des libertés individuelles fait partie intégrante de la vision de la démocratie, allant parfois même jusqu’à être placée comme un de ses principes phares.

Une grande partie des pays de l’Union Européenne sont aujourd’hui des démocraties libérales comme la France, l’Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas, mais ce régime est également présent dans le reste du monde avec des pays comme les États-Unis ou encore le Japon.


Crise de la démocratie

Aujourd’hui, alors que l’on croyait ces régimes bien installés, on voit se développer une crise de la démocratie de plus en plus profonde.

En France, 85% des citoyens considèrent que les responsables politiques ne se préoccupent pas d’eux et 74% pensent que le personnel politique est corrompu. [12] Les Français satisfaits du fonctionnement de la démocratie ne sont que 51%, un score suffisant pour élire un président mais pas pour garantir un régime politique. [13]


Rejet des politiques, rejet des institutions et parfois même rejet du vote, dans de nombreux pays d’Europe et plus largement d’occident, les citoyens semblent de plus en plus critique envers la démocratie et son fonctionnement. Les raisons de cette crise sont multiples et certaines sont même issues des principes de la démocratie libérale.


Judiciarisation de la politique

Par exemple, les institutions devant garantir les libertés individuelles et les droits de l’Homme ont pris de plus en plus d’importances dans les systèmes européens. Ces institutions vont interférer dans la prise de décision jusqu’à parfois entraver ou empêcher des projets de lois allant contre leurs interprétations des conventions de protections des libertés individuelles. Ces institutions peuvent être nationales comme le conseil constitutionnelle ou internationale comme la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) qui peut condamner les États et ainsi les obliger à changer leur législation. Si ces institutions participent effectivement à la protection des libertés, elles sapent également le pouvoir décisionnel du gouvernement en agissant comme des chambres supplémentaires et non élues du Parlement, augmentant ainsi le sentiment des citoyens que les politiques sont impuissants ne voulant ou ne pouvant agir.


Complexification de la prise de décision

Cette judiciarisation de la politique participe et s’ajoute à une complexification de la prise de décision. Il y a encore 50-60ans, le fonctionnement de la démocratie était relativement clair pour les citoyens. On élisait le parlement ainsi que le chef de l’État en fonction des pays, le gouvernement proposait des lois que les députés approuvaient ou rejetaient et celles-ci devaient effectivement être conforme à la Constitution ce à quoi veillait les cours constitutionnelles. Mais depuis se sont ajoutées des conventions internationales qui ont été signées par les États ainsi que des organisations supranationales comme l’Union européenne restreignant progressivement les pouvoirs politiques des États qui ont cédé une part de leur souveraineté à ces nouvelles institutions. Les compétences politiques détenues à l’origine par les États sont maintenant partagées ou déléguée à l’Union européenne rendant de plus en plus confus pour les citoyens le fonctionnement de la prise de décision. Pour certains pays cette confusion est accrue par la complexité de leur système politique d’origine. La Belgique par exemple, qui est un État fédéral est composé de 3 régions et de 3 communautés possédant chacune leur parlement et leur gouvernement, auxquels s’ajoutent le niveau fédéral avec également son parlement et son gouvernement, mais aussi sa cour constitutionnelle. Chaque entité a ses propres compétences qui sont pour certaines communes à d’autres niveaux de pouvoir et d’autres compétences sont elles mêmes déléguées ou partagées avec l’Union européenne et les institutions qui la composent comme le Parlement et la Commission européenne.

On voit donc que dans certain cas la complexité du système politique est telle que les citoyens s’y perdent au point parfois de se détacher de ces questions et de se désintéresser de la chose publique (49% des Français ne s'intéressent pas à la politique) [14].

Un désintérêt de la vie politique qui engendre alors un manque de culture et de connaissance politique, le citoyen ne voulant plus se renseigner se sentant déjà dépassé par la situation, ce qui augmente donc son incompréhension de la politique, l’emmenant ainsi dans un cercle vicieux.


Déclin des fondamentaux démocratiques

Ce désintérêt est également lié à un faible sentiment d’appartenance à la communauté nationale. Si comme nous l’avions vu, le sentiment d’appartenance à la Nation a été un facteur important de la démocratisation, l’absence de ce sentiment engendre un désintérêt pour la situation politique d’un pays, et en 2021, seuls 24% des Français disent se sentir appartenir à la communauté nationale. [15]

À tout cela s’ajoute une érosion des principes fondamentaux qui fondent la démocratie. La défense des intérêts particuliers remplace progressivement celui de l’intérêt général, celle des libertés individuelles rentre quant à elle en confrontation avec la notion de volonté générale et, peut-être encore plus grave, des dévoiements du principe de souveraineté populaire ont pu avoir lieu. Un événement marquant qui illustre cela et qui est encore aujourd’hui une référence pour toute une partie de la population se sentant trahie par les politiques est celui du vote pour la Constitution européenne. En 2005 fut organisé en France, et dans plusieurs autres pays d’Europe, un référendum par lequel les citoyens devaient s’exprimer pour ou contre la ratification du Traité de Rome devant établir une Constitution européenne. À l’issue du scrutin, c’est le NON qui l’emporta largement avec plus de 54% des voix et la France s’opposa donc officiellement, tout comme les Pays-Bas, à la ratification du traité constitutionnel.

Mais en 2007, un nouveau traité européen apparait, celui de Lisbonne qui reprend peu ou prou le même contenu que celui de 2004. Aucun référendum ne sera organisé cette fois-ci, la France signera sans consultation populaire le traité passant ainsi outre le choix qu’ont affirmé les Français trois ans plus tôt. Cet événement est encore ressenti aujourd’hui par de nombreux Français comme une trahison de leurs représentant alimentant ainsi une méfiance accrue envers les institutions politiques doublé d’un sentiment d’abandon de plus en plus prégnant.


Tentatives de renouveau démocratique

Les citoyens ne se sentent plus reconnu et impliqué dans cette démocratie embourbée dans une crise dont elle peine à sortir. Pour ce faire certain réclame davantage de démocratie, on demande plus de participation des citoyens dans le processus de décision. C’est ce qu’on revendiquer certains manifestants et partis politiques avec par exemple le référendum d’initiative citoyenne (RIC) devant permettre aux citoyens eux-mêmes de convoquer une consultation populaire. D’autres veulent plutôt diminuer l’aspect libérale de la démocratie, s’appuyant sur le principe qu’une démocratie doit être selon la formule d’Abraham Lincoln « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », ils veulent diminuer le pouvoir des cours constitutionnelles et internationales, instaurer une primauté du droit national ou encore diminuer l’importance de la protection des droits de l’Homme. C’est le cas de ce qu’on appelle les démocraties illibérales comme la Hongrie ou la Pologne qui ont restreint certaines libertés individuelles pour mieux pouvoir gérer leur politique sécuritaire ou leur politique d’immigration. Ces régimes sont donc ainsi à mi-chemin entre les démocraties électorales et les démocraties libérales voulant préserver le principe de souveraineté populaire au détriment de certaines libertés individuelles.

Les réponses varient mais nul ne sait si elles seront suffisantes pour enrayer la crise que nous traversons.


Conclusion

Pour répondre à la question initiale, oui, nous vivons toujours bel et bien dans une démocratie. Une démocratie défectueuse, mais une démocratie quand même.

Si la souveraineté populaire a parfois été bafouée, le peuple a toujours la possibilité de décider dans une certaine mesure de son destin. L’offre politique quant à elle n’a jamais été aussi diverse depuis longtemps. Avec des européistes et des eurosceptiques, des libéraux et des socialistes et même un colbertiste, des conservateurs et des progressistes, des nationalistes et des mondialistes. Rarement autant d’opinions ont été représentées lors d’une présidentielle, il manquerait peut-être juste un candidat de la gauche républicaine et un girondin et on serait au grand complet.

Certes, les libertés individuelles ont été restreintes depuis 2020, mais il en fut de même durant la période des attentats islamistes et cette restriction ne faisait pas autant polémique. De plus, les libertés n’ont jamais été aussi étendues et garanties qu’à notre époque et leur restriction n’impact pas le principe démocratique en soit. Sous la IIIème République, la liberté d’expression, de déplacement ou des personnes étaient loin d’être garantie, les revendications ouvrières étaient plus que sévèrement réprimée et pourtant il s’agissait bien d’un régime démocratique ayant fait sien les principes de volonté et d’intérêt général.

Peut-être que l’un des plus grands problèmes de la démocratie aujourd’hui est celui de la qualité débat public. La faute n’étant pas forcément à mettre sur l’absence d’objectivité dont on accuse les médias, cela n’a jamais véritablement été leur fonction. La presse d’aujourd’hui n’est ni plus ni moins objective que celle des années 50 ou de 1789. La France a toujours eu une culture du journalisme d’opinion, espèce d’hybride entre littérature et pamphlet politique. Non, le problème est davantage dû à une hystérisation du débat public, le temps n’est plus aux confrontations d’opinions, encore moins à l’échange intellectuel, le temps est au culte de la petite phrase, de l’attaque verbale qui fera réagir sur les réseaux sociaux, du clash télévisé qui sera relayé dans la presse du lendemain. Le débat présidentiel de 2017 en a été une quasi-caricature, ressemblant davantage à un concours de punchline qu’à une véritable confrontation politique. Pourtant c’était un débat qui aurait pu être l’un des meilleurs de la Vème république tant jamais des visions n’avaient été aussi opposées.

Il n’y a plus de dialogue, il n’y a plus de compréhension de l’autre, il n’y a même plus de respect de l’adversaire politique, il n’y a que l’invective et la diabolisation de l’autre alors que les débats constructifs eux se font de plus en plus rares.

Mais malgré tout cela la démocratie est toujours là. Elle est en crise et souffre de nombreuses lacunes et nous saurons seulement dans 10, 20 peut-être 30ans comment elle sortira de cette période si particulière de son histoire.




Classiques disponibles gratuitement en ligne


MONTESQUIEU « L’esprit des lois », 1748


ROUSSEAU Jean-Jacques, « Du contrat social », 1762.



Bibliographie

BALME Richard & co. « Les motifs de la confiance (et de la défiance) politique : intérêt, connaissance et conviction dans les formes du raisonnement politique », Revue internationale de politique comparée, vol. 10, no. 3, 2003, pp. 433-461.

DAHL Robert, « Polyarchie : participation et opposition », Édition de l'Université de Bruxelles, 2016, Bruxelles.

DE WAELE Jean-Michel & Co., « Les démocraties européennes », Éditions Armand Colin, 2015, Paris.

DELWIT Pascal, « Introduction à la science politique », Éditions de l’Université Libre de Bruxelles, 2ème édition revue et augmentée, 2015, Bruxelles.

DOGAN Mattei, « Méfiance et corruption : discrédit des élites politiques », Revue internationale de politique comparée, vol. 10, no. 3, 2003, pp. 415-432.

GAUCHET Marcel, « Crise dans la démocratie », La revue lacanienne, 2008/2 n° 2, p. 59-72. DOI : 10.3917/lrl.082.0059

GAUCHET Marcel, « Le désenchantement du monde », Éditions Gallimard, 2002.

GAUCHET Marcel, « La démocratie contre elle-même », Éditions Gallimard, coll. « Tel », Paris, 2002.

HERMET Guy, « Démocratie et autoritarisme », Éditions du Cerf, 2012, Paris.

HEYMANN-DOAT Arlette, « Les régimes politiques », Éditions La Découverte, 1998, Paris.

HUNTINGTON Samuel, « The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century », University of Oklahoma Press, 1991.

MANIN Bernard, « Principes du gouvernement représentatif », Éditions Flammarion, 2019.

QUERMONNE Jean-Louis, « Les régimes politiques occidentaux », Éditions Points (5e édition), 2006, France.


Sources

[1] BURDEAU Georges, « Démocratie », Encyclopedia Universalis, Corpus 7, France, 1990.

[2] Bulle pontificale In nomine Domini de 1059.

[3] HERMET Guy, « Démocratie et autoritarisme », Éditions du Cerf, 2012, Paris, pp. 13-28.

[4] Idem.

[5] LOCKE John, « Traité du gouvernement civil », 1690.

[6] MONTESQUIEU « L’esprit des lois », 1748.

[7] ROUSSEAU Jean-Jacques, « Du contrat social », 1762.

[8] HERMET Guy, « Démocratie et autoritarisme », Éditions du Cerf, 2012, Paris, pp. 13-28.

[9] HUNTINGTON Samuel, « The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century », University of Oklahoma Press, 1991.

[10] MANIN Bernard, « Principes du gouvernement représentatif », Éditions Flammarion, 2019.

[11] DAHL Robert, « Polyarchie : participation et opposition », Édition de l'Université de Bruxelles, 2016, Bruxelles.

[12] CEVIPOF, « 2009-2019 : la crise de la confiance politique », SciencePo, Janvier 2019. https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/CEVIPOF_confiance_10ans_CHEURFA_CHANVRIL_2019.pdf

[13] IFOP, « Les Français et l’état de la démocratie : le bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron », Rapport d’étude pour Décider ensemble, décembre 2021. https://eupinions.eu/fileadmin/files/...

[14] OPINIONWAY, « En qu(o)i les Français ont-ils confiance aujourd'hui ? », Sondage pour Cevipof, Vague 12, Février 2021, p.38

[15] Ibidem, p.82.


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